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Merci P. Alphonse

24 Juin, 2014
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P. Alphonse Quenum

Le père Alphonse Quenum nous a quittés dimanche 15 juin 2014. Ses obsèques ont eu lieu mercredi 25 juin  à Cotonou. Il fut celui qui permit au Centre Damien d’acquérir son terrain. Il fut également parmi nous lors de la pose de la première pierre, le 1er août 2012. Pour nous membres du Centre Damien et de Réseau Picpus, il a toujours encouragé nos initiatives et veillé sur nous. A chacun de nos séjours au Bénin, il se rendait disponible pour un temps de rencontre et de partage. Ensemble, nous étions pris ensemble dans un horizon commun. Il nous encourageait à bâtir ce projet, convaincu qu’il porterait du fruit « et même beaucoup de fruits, à condition de ne pas faire l’économie de la réflexion pour organiser ».
Nous avons la responsabilité d’être à notre tour des passeurs de cette trempe. Puissions-nous continuer à semer, avec confiance. Puissions-nous faire fructifier son héritage.

> Vidéo hommage de la part de jeunes picpuciens reconnaissants
> Article du P. Serge Gougbèmon (paru dans La Croix, juin 2014)
> Homélie du P. Alphonse Quenum, à l’occasion de la pose de la première pierre, le 1er août 2012

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Vidéo hommage de la part de jeunes picpuciens reconnaissants

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Alphonse Quenum, une figure exemplaire pour l’Afrique

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P. Alphonse et P. Serge

Le père Alphonse Quenum, historien, théologien et recteur émérite de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO), s’en est allé pour l’Eucharistie éternelle dimanche dernier en la solennité de la Trinité, à l’heure des Vêpres, dans sa 77ème année.

Nombreux sont ceux qui l’ont connu en France ou ailleurs, notamment à travers les médias africains et français (dont ses tribunes dans La Croix), mais surtout à travers ses conférences et sa bibliographie abondante sur l’histoire de la traite négrière, les rapports nord/sud, l’Eglise et ses défis dans le monde de ce temps, la politique africaine…

Intellectuel engagé, humaniste ouvert et chrétien épris de liberté et de vérité, le père Alphonse était de tous les combats pour la libération de l’Homme dans toutes ses dimensions. Cela lui coûtera dix années d’incarcération pendant la période révolutionnaire au Bénin ainsi que sa condamnation à mort par le gouvernement militaro-marxiste de M. Mathieu Kérékou, alors président de la République du Bénin. A la faveur de la grâce présidentielle, il sera libéré avec d’autres compagnons d’infortune le 1er Août 1984.

Le goulag de la révolution béninoise n’a pas eu raison des convictions et des rêves d’Alphonse pour l’Afrique et pour l’Eglise. Il se passionnera encore pour l’histoire de la traite transatlantique et dénoncera, dans sa thèse, l’énigme de l’option historique de l’Eglise pour les indiens contre les noirs. A cette période d’études en France, sanctionnée par un Doctorat à l’université de Strasbourg, succèderont deux décennies de mission d’enseignement et de recherche à l’UCAO, la plus importante université catholique de l’Afrique francophone, à Abidjan, en Côte d’Ivoire. On connait la pertinence et la profondeur de ses recherches en matière d’inculturation de la foi et d’évangélisation des cultures africaines. L’avenir et le développement de l’Afrique en dépendent. Nommé à la tête de l’UCAO, il mettra en oeuvre, non sans peine, son vieux rêve d’une politique panafricaine de l’enseignement supérieur. Sous son impulsion, l’UCAO est devenue non seulement un instrument efficace au service de l’intégration sous-régionale, mais aussi le fleuron d’une nouvelle élite panafricaine post-coloniale.

Ce dernier combat public en faveur de la jeunesse africaine manifeste certes son souci de transmission et de formation comme réponse pertinente au sous-développement dont souffre l’Afrique, mais surtout la mystique de l’homme. Pour qui a connu Alphonse et a partagé la profondeur de ses analyses, sa vie simple et dépouillée, sa quête passionnée de la vérité, avec lui disparait l’un des plus grands africains de ces cinquante dernières années. Il est de la trempe de ces résistants  et de ces vieillards dont la disparition est identifiée, en Afrique, à une bibliothèque qui brûle. Sa mystique était véritablement celle du Semeur (son oeuvre testamentaire : La mystique du semeur). Jusqu’au bout, il aura semé.

La vie et l’oeuvre d’Alphonse sont encore à explorer. En ces périodes d’incertitude pour l’Afrique, il reste pour la jeunesse et les passionnés du développement du continent un repère et guide sûrs. Maintenant qu’il contemple dans la lumière Celui qu’il aura tant cherché, puisse-t-il intercéder pour nous.

P. Serge Gougbèmon (picpucien)
Article paru dans La Croix, juin 2014

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Homélie du P. Alphonse à l’occasion de la pose de la première pierre

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Pose de la première pierre, 1er août 2012

Nous sommes aujourd’hui au temps précieux de la confiance, porteur de quelque chose qui nous dépasse. Nous sommes aussi au temps précieux de l’espérance, parce que tout ensemencement est annonce d’un avenir qui ne peut être maîtrisé. Il n’est pas dit, nous qui sommes là, que nous verrons les fruits de ce projet. Nous donnons, d’autres viennent travailler ; le Seigneur arrose, parce qu’Il est le maître du temps. C’est cela précisément la mystique du semeur. Ainsi, l’espérance qui traverse ce geste symbolique d’aujourd’hui, assure l’avenir.

S’il est un premier lieu où je rends grâce, c’est de remercier cette terre. C’est elle qui s’offre à nous et qui nous est donnée à travers, notamment la générosité de Maître Alfred. Si cette terre est féconde, tout ce que nous y ferons en jouira. Or ce que nous voulons y faire est déjà annoncé par notre bonne volonté. C’est pourquoi je vous remercie d’être là : venus de partout, de vos diverses professions, vous donnant rendez-vous dans le grand ensemble Picpus qui continue de chercher sa route. J’ai entrevu quelques unes de ces routes : une aboutie ici, sous la protection de Saint Damien. Ce nom je l’ai connu au petit séminaire, il y a à peu près une soixantaine d’années. On savait qu’il y avait un saint qui s’est donné pour les lépreux, sans plus. Dieu seul voit sur des lignes, Il ne nous donne pas simplement des relais, mais des balises.

J’ai évoqué la terre et tout ce qui nous a orientés vers elle. Je voudrais évoquer le P. Serge que je ne connaissais pas avant. Lui me connaissait, moi, je ne le connaissais pas. Lors d’une rencontre fortuite à la sacristie de Saint Miche, il m’a dit : « Mon Père, si vous venez en France, venez me voir ». C’est ainsi que j’ai découvert Picpus. Et si relais il y a, ce fut déjà partir de ce moment-là. Qui l’eût-cru ? Voyez, nous ne gérons pas. Certains y verront hasard et nécessité. J’y vois, moi, la main de la Providence qui nous oriente parfois à notre insu, parfois avec notre responsabilité clairvoyante.

Depuis ce temps, nous avons cheminé pour chercher à voir ce que nous pouvions faire ensemble dans notre champ de mission commune. Parce que, quel que soit l’endroit où nous nous trouvons, le lieu dont nous nous exprimons, nous sommes pris dans un horizon commun. Voyez autour de vous, il y a encore de la brousse. Quand on voit à quelle vitesse les choses avancent sur nos terres africaines, dans le monde entier, si vous passez ici dans 2 ans, 3 ans, vous direz : « Ce n’est pas possible! » Oui, vous serez surpris. Dès qu’on implante une pierre, d’autres pierres s’installent à côté et veulent profiter de la vie qui est installée là pour faire reverdir notre vie.

Ce que nous essayons de faire, je le crois, est donc porteur d’un avenir. Cette projection qui anime les gens, les divers groupes de Picpus, j’en suis convaincu, portera du fruit et même beaucoup de fruits, à condition de ne pas faire l’économie de la réflexion pour organiser. Icic c’est la brousse et quelque part la pauvreté. Il faut en ternir compte.

Aujourd’hui, nous sommes le 1er août, jour de ma libération de prison. Mais également jour de la St Alphonse. Et jour de l’indépendance du Bénin. Alors coïncidence ? L’indépendance est une chose, mais elle ne se construit profondément que tous les jours. Je suis convaincu que tout ensemencement, parce que acte positif, est chemin de libération continue. Il faut apprécier devant le Seigneur qui nous rassemble cet acte fondateur, pour que lui-même en éclaire la route et l’horizon. Que nos bonnes volontés diverses convergent afin que cela donne du beau fruit : que cela devienne réellement un flamboyant, non pas d’orgueil, mais de partage, de respiration d’air pur, de don de soi, pour les autres et de don partagé. Beaucoup d’entre vous venez d’un autre monde. Que ce qui sera donné ici soit vraiment le rendez-vous, comme le dit si bien Senghor, du donné et du recevoir.

Le Bénin a beaucoup de symboles et je souhaiterai terminer par l’un d’entre eux. Le premier prêtre béninois d’appelle Thomas Moulero. Or Moulero signifie « la pierre angulaire ». S’il en est ainsi que cette figure emblématique annonce quelque chose, malgré nos fragilités ; si nos fragilités annoncent que demain il fera jour, je souhaite que la pierre angulaire d’aujourd’hui fasse que demain il fera jour. « 

P. Alphonse Quenum